Notre troisième étape nous mène sur l’île sans doute la plus célèbre des Philippines : Palawan. Tout en longueur sur 450 km du nord au sud, pour 50 km de large, l’île principale est couronnée de tas d’autres petites îles, et Coron est un archipel située au nord, dans la mer de Chine.
On atterrit à Busuanga, et quand la majorité des touristes s’établit sur la ville de Coron pour partir à la journée en excursion en banka dans les îlots paradisiaques qui lui font face, nous partons directement pour une pure pépite, dénichée il y a plus d’un an lors de mes recherches bibliographiques sur les lieux, un hôtel constitué de plate-formes flottantes, donnant directement sur Green Lagoon, un lagon privé, donnant lui-même très facilement accès en kayak à Twins Lagoon, une des stars du coin.
Avoir le privilège de dormir ici, c’est clairement vivre l’archipel de Coron différemment : on peut partir avec les petits bateaux de l’hôtel dès 7h le matin et ne revenir qu’après 18h, c’est donc l’assurance d’explorer la majorité des merveilles géologiques et maritimes sans la foule, dont les banka quittent le port de Coron vers 8h30 pour arriver sur les sites vers 9h, et en repartent vers 16h. Vivre l’archipel de Coron en marge finalement, quel pied!
Bien sûr, l’établissement, construit très artisanalement au départ, remplit toutes les cases de l’écologie et de l’éthique responsable envers les populations locales, j’ai donc immédiatement foncé pour réserver TRES longtemps à l’avance.
L’histoire de l’hôtel est singulière et mérite un petit récit : Paolo, un Italien qui travaillait dans la finance comme un damné, décide de tout plaquer à la fin des années 2000 suite à la perte tragique de sa jeune soeur dans un accident. Il vend tous ses biens, s’achète un bateau, et part sillonner le globe en se jurant de ne plus replonger dans la frénésie du travail.
Il passe un jour par les Philippines dont il ne soupçonnait pas les joyaux, et y rencontre sa future femme, Lyn, qui vit à Coron. Alors qu’il avait pris l’habitude de fuir la saison des pluies avec son bateau, il décide, par amour, de se construire une habitation sur l’eau, pour continuer de vivre en marin et jouir de ces paysages magnifiques à l’année. Mais les lagons et les îles qui font face à Coron sont toutes privées et appartiennent à la tribu des Tagbanua, composée d’environ 2500 personnes. C’est après avoir tissé des liens privilégiés avec eux, et au prix de nombreuses années d’échanges, qu’il obtient le droit de leur payer un loyer pour s’établir définitivement ici et mettre en oeuvre son projet de construction de maison flottante. Pour se faire, il emploie des Tagbanua et leur offre ainsi une source de revenus, les membres de cette tribu vivant encore de façon précaire en pêcheurs, n’ayant accès ni aux écoles, ni aux soins. Très vite, pour pouvoir continuer d’employer les locaux, il construit sur sa plateforme trois chambres d’hôtes qu’il met en ligne sur Airbnb. Le succès est immédiat et dépasse totalement ses ambitions, qui n’étaient pas du tout initialement d’envisager un vrai projet hôtelier. Mais la logistique pour permettre que ce projet de chambres d’hôtes soit parfaitement écologique et permette de nourrir les hôtes sur place sans les faire aller et venir à Coron au cours de leur séjour est si lourde et couteuse que le projet n’est pas du tout rentable : Paolo perd de l’argent et s’il veut continuer d’employer les Tagbanua, il doit envisager d’augmenter le nombre de chambres : il construit alors trois autres plateformes flottantes réparties dans Green Lagon, portant chacune quatre chambres et développe complètement l’autonomie de l’hôtel, en partenariat avec les Tagbanua. Une tâche bien difficile car ce peuple n’ayant jamais fréquenté l’école ni intégré les codes du travail (arriver à l’heure, accomplir sa mission, etc) nécessite d’être formé continuellement et d’être très encadré. Ainsi Paolo doit multiplier les emplois en mono-tâches car peu sont capables d’une fonction multitâche, et il leur verse un salaire correspondant à 5 fois ce qui est versé par d’autres employeurs sur Coron, pour les fidéliser. Il a été le seul à maintenir intégralement leurs salaires pendant les 23 mois de la pandémie Covid où le pays avait totalement fermé ses frontières! Son projet est ainsi aussi devenu un projet social pour la région, et il ne manque pas de financer l’accès aux soins et l’éducation pour les Tagbanua.
La logistique est dingue donc : 250 employés pour 16 chambres au total! 25 employés exclusivement dédiés à la gestion de l’eau : l’eau douce qui sert à la douche est acheminée tous les jours par bateau depuis une île voisine où se trouve une source naturelle qui permet l’approvisionnement, l’eau usée n’est évidemment pas rejetée à la mer, elle est récupérée tous les jours dans des réservoirs qui sont évacués sur l’île de Coron pour être gérée dans le traitement des eaux usées. Le savon est donc autorisé pour la douche dans la chambre, car l’eau est récupérée, mais le savon est proscrit pour la douche d’extérieur, elle aussi approvisionnée en eau douce pour se rincer.
La nourriture est acheminée quotidiennement depuis le marché de Coron : une équipe part tous les jours en fin de nuit faire les courses car le stockage alimentaire n’est pas gérable sur l’hôtel. Ainsi les hôtes doivent passer leurs commandes de plats des trois repas par jour la veille pour le lendemain : là aussi une équipe entière est dédiée à cette logistique.
Il y a l’équipe ménage bien sûr, les serveurs et les cuisiniers, les gérants des kayak et paddles laissés à disposition des hôtes (on nous demande à l’arrivée combien on en veut par famille et ils viennent nous les arrimer à la plateforme le premier jour, et pensent à les déporter à quelques mètres du ponton le soir venu pour que nous ne subissions pas la nuit le bruit des claquements contre le ponton!!! Juste incroyable!)
Et pour finir les capitaines des bateaux, qui sont tous Tagbanua également car ils connaissent leurs îles et leurs sites par coeur, et nous ont emmenés dans ces merveilles au cours des deux jours passés ici. Tout cela a un coût certain, mais pour ce genre de structures, je suis complètement prête à faire le sacrifice : vivre les îles de Coron de cette façon n’a rien à voir avec les excursions en groupes en banka à la journée!
Se réveiller ici, sur l’eau, avec ce sentiment unique de solitude, ça n’a pas de prix!
Rien de bling-bling, rien à voir avec un resort de luxe, mais un environnement de dingue et un service de qualité et très étudié!
Nous avons eu la chance de rencontrer Paolo le matin de notre départ alors qu'il revenait d'un court séjour en Italie pour des soins médicaux, et nous avons pu échanger avec ce marin-baroudeur sur ce projet passionnant qui lui prend désormais tout son temps. Pour que la réussite du projet social soit pérenne dans le temps, il doit sans cesse s'assurer que les employés remplissent correctement leurs missions, et il est omniprésent avec eux (plus de 250 messages par jour avec eux!!).
Il a conscience qu'il fait aujourd'hui vivre des centaines de familles Tagbanua, et il continue de financer des projets d'éducation et de soins pour eux, la fréquentation de l'hôtel doit donc être optimale. Amoureux des bêtes, il a même ouvert également sur Coron un centre de recueil et de soins pour chiens et chats, qui sont partout aux Philippines mais souvent dans un piteux état!
J’avais donc bien conscience qu’on allait vivre une parenthèse inédite et privilégiée sur Coron, mais l’arrivée sur le site a été époustouflante. Les couleurs du lagon sont incroyables, les massifs karstiques couverts de jungle rendent uniques les paysages, on est littéralement hypnotisés!!!
Coco fraîche à l’arrivée, explications de toute la logistique, et comme nous sommes arrivés sur place en milieu de matinée, on a pu déjà partir en explorations des lieux en kayak en attendant que notre chambre soit prête! et retourner voir Twins Lagon en fin d'après-midi du deuxième jour, quand la foule a quitté les lieux : bonheur !
La chambre est vraiment super bien conçue, tout en bambou, avec une petite salle de bain, des WC comme sur un bateau avec une pompe manuelle pour l’évacuation en réservoir, un astucieux jeu de miroirs sur les murs donne un vrai sentiment d’agrandissement, le ponton héberge une zone de repas couverte (les repas nous sont apportés par bateau sans frais supplémentaires), des transats, une échelle d’accès à l’eau, et les kayaks et paddle demandés! Et bien que nous soyons quatre chambres par plateforme, le positionnement de chacune fait qu’il est impossible de voir ses voisins, et par je ne sais quel miracle, impossible de les entendre!!!
On ne voit bien sûr pas les 250 employés!! Seule une dizaine évolue quotidiennement au contact des hôtes.
On se croit vraiment sur un bateau, mais les eaux calmes du lagon rendent à peine perceptible le bercement du plancher...
Le réveil aux aurores est un plaisir, dans le pépiement des oiseaux provenant dans massifs calcaires alentours. Les petites insomnies encore présentes en raison du décalage horaire offrent des contemplations des étoiles dans le silence absolu. Quelle paix! Deux jours et deux nuits qui promettent du rêve!!! Au moment où j’écris il est 6h30 du matin, et un petit monsieur vient d’arriver discrètement sur sa barque à la rame, debout en équilibre, pour ramener les kayak au ponton… avec un grand sourire du matin!
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