Nous avons quitté Ua Pou avec chacun un collier de graines autour du cou, offert en cadeau de départ. Nous revoilà sur le tarmac, au pied du petit coucou, avec le même pilote qu’il y a quatre jours. Le décollage est impressionnant, dans l’autre sens la piste fait office de tremplin vers la mer!
Vingt cinq minutes plus tard, nous voilà atterris à Nuku Hiva, la plus grande des îles Marquises, et la plus au Nord. On récupère la voiture de location, (il suffit d’aller demander les clés au snack de l’aéroport!), et nous voilà partis à la conquête de l'île!
La végétation change radicalement. On sillonne le plateau de Toovii, au nord-ouest, sur une route sinueuse qui évolue entre 800 et 1100 mètres d’altitude, la plus haute de Polynésie. Ces paysages alpins sont magnifiques, entre vert fluo et multitude de pinus. On hésite entre Suisse, Alpes françaises, Canada, et après un mois de voyage en Polynésie, ces panoramas nous semblent malgré tout très exotiques!
Nuku-Hiva, presque 400 km2 et 3200 habitants, est l’île-capitale administrative des Marquises.
Il nous faut une grosse heure de route pour gagner Taihoae, le village principal, au sud.
La route est enchanteresse, entre cols, canyons, chevaux en liberté dans les bois ou sur les bords de route.
Et voilà que surgit la baie de Taihoae, cernée d’une végétation à nouveau tropicale; c’est une très grande baie de 3,5 km de long, avec sa plage de sable brun, et ce village assez coquet, où l’on perçoit aussitôt une certaine douceur de vivre. Elle accueille des voiliers du monde entier qui viennent se poser ici, après des traversées parfois éprouvantes dans le Pacifique.
Les bâtiments administratifs (mairie, Poste, subdivision territoriale, et même la prison!) sont tendrement désuets, figés dans une époque lointaine, on dirait que personne ne les occupe, et pourtant, il y a bien une petite vie, bien calme certes, à l’intérieur!
Notre location est un super plan que j’ai dégoté il y a plus d’un an. Hereiti, sa jeune propriétaire, venait de la mettre en ligne à un prix incroyable : 78 euros la nuit pour 5, du jamais vu aux Marquises, et même dans toute la Polynésie!!! Depuis, les prix ont déjà augmenté (ils ont même été multipliés par 3!), mais l’offre est assez limitée ici, c’est donc plutôt logique. C’est un meublé de tourisme qu’elle a bien arrangé, c’est grand, tout y est, et ça fonctionne un peu comme une auberge de jeunesse, sauf qu’on occupe deux chambre sur trois et que la 3e est libre, trop chouette !
On y est vraiment bien, le genre d’endroit où l’on pourrait vivre longtemps… on a même les chats qui nous rendent visite, les coqs bien sûr pour nous réveiller au petit matin, les geckos qui couinent et les mille pattes qui envahissent le carrelage à la nuit tombée (mais qui se mettent en boule au moindre coup de balai et se font facilement évacuer).
En ce dimanche matin, on s’est fait réveiller en douceur par les Pentecôtistes qui occupent la maison d’à côté : guitare et chants d’amour dès 7h30, dans la chaleur déjà montante du matin, avec vue sur les grandes montagnes alentours, et les coqs pour les accompagner: quelle extase!
A notre arrivée on a tout de suite fait connaissance avec le village pour subvenir à nos besoins : après dix jours en pension depuis Maupiti, nous voilà revenus en autonomie pour nos repas!
Les « magasins » sont tout aussi typiques ici qu’à Ua Pou, et il faut jouer d’une grande imagination pour composer des repas équilibrés pour cinq avec ce qui existe sur les étagères! Heureusement on se console avec des parts de gâteaux au chocolat faits maison vendus à la caisse, on a au moins du dessert!
On découvre un peu plus tard un vrai petit supermarché bien achalandé (bon, pas de yaourts quand-même, faut pas abuser! Les habitants (et ils ont bien raison!) font leurs yaourts eux-mêmes), un très bon complément à nos premiers achats, nous voilà sauvés.
On se met en quête du seul hôtel de l’île, à l’extrémité ouest de la baie, pour aller y acheter des sticks à l’huile de Tamanu, un indispensable pour soulager les piqûres de "nonos".
Ah ces fameux "nonos" : sandflies en Nouvelle Zélande ou aux Philippines, encore appelées midges en Ecosse, mokafohy à Madagascar (« moukafoy » = mouche à feu »), mouche des sables aux Seychelles, voilà qu’ici elles répondent à ce surnom d’allure inoffensive! on en a déjà croisé pas mal, et on les redoute!!! On nous a prévenus, Nuku Hiva regorge de nonos! Pas question de se dorer la pilule sur la plage ici! Il va falloir être bien couverts! L’hôtel est très mignon, la toute petite piscine qui déborde sur la baie fait envie, mais non non non, notre meublé nous attend!
On s’octroie une bonne sieste, la langueur de Taiohae appelle à ça!, et on sort dans le village après 16h pour monter au Tiki géant, une sculpture contemporaine de 2017, 12 mètres de haut qui dominent la baie. On aime ou pas, mais les proportions en font tout de même une oeuvre incontournable, qui se fond étonnamment bien dans le paysage de loin.
On finit la journée par une balade sur le sentier côtier à l’est de la baie, appelée la Sentinelle, pour gagner le point de vue de Tehaatiki au coucher du soleil : une petite heure aller-retour, voilà un compromis parfait pour se dégourdir les jambes.
Le lendemain, c’est dimanche. Les enfants ont besoin de repos, on s’accorde (d’accord, je leur accorde) une absence de réveil. C’est grasse mat’ pour ceux qui le veulent ! Evidemment, pour moi, dès 8h, et avec ces chants si doux à la guitare qui émergent de derrière la fenêtre, je ne tiens plus au lit, me voilà en pyjama à la porte pour enregistrer ces moments uniques.
J’ai ainsi très envie d’aller du côté de la « cathédrale » Notre Dame de Nuku Hiva, les chants de la messe doivent y être exceptionnels.
Je tire mon homme du lit, on partage un petit déjeuner (ces pamplemousses géants et sucrés offerts par Hereiti pour notre arrivée sont exquis), et nous voilà arrivés au pied de l’édifice, construit sur un pae pae (vous savez ce que c’est si vous avez lu les articles précédents!).
Dehors les chants envahissent la montagne et le ciel depuis cette église totalement ouverte sur le jardin: on est irrésistiblement attirés à l’intérieur et nous voilà assis sur les bancs avec la fervente assemblée. Que c’est beau !! Les paroles en tahitien sont projetées discrètement au plafond, quelle bonne idée pour nous permettre de participer à la fête!
Le « Hosannah » en tahitien (« Te ato » je crois) donne le ton, c’est en canon, les hommes, les femmes, tous en blanc avec leur t-shirt à l’effigie de la paroisse, quelle ferveur!
Et que dire du final, tous se tiennent la main et se balancent de gauche à droite, ça siffle par-dessus, « Tenons-nous main par la main mes frères/mes soeurs, Te Vai Ora! Te Vai Puna », c’est tellement joyeux et vivant que ça donnerait envie d’aller à la messe tous les dimanches !!
Il y a le gospel à Harlem, … et il y a les chants de Nuku Hiva, anthologiques!
Le reste de la matinée s’écoule tranquillement à la maison; Pierre a une dernière plongée sur l’après-midi, ça n’était pas trop prévu mais on lui a dit que les plongées aux Marquises pouvaient valoir le coup, les bestioles y étant réputées plus grosses que dans les autres îles de la Polynésie.
Il fallait donc trouver quelque chose à faire pour nous quatre : Hereiti nous a parlé de Etienne Tamarii, un sculpteur du village, qui propose des ateliers d’initiation. Ni une ni deux, nous voilà chez lui, dans son atelier du jardin, pour quatre heures studieuses et joyeuses avec cet homme charmant, d’une patience d’ange avec les difficultés de concentration de Zoé, si clairvoyant, si attentif, si simple, si, si, si ! Sa plus jeune fille est avec nous aussi et nous guide. Son gendre sculpte un magnifique tiki à côté de nous, une commande pour Tahiti qu’il doit honorer pour jeudi, la radio balance des chants toujours légers (le « Pour que tu m’aimes encore » de Céline Dion en version tahitienne chantée par un homme genre Franckie Vincent vaut le détour !!!), les coqs nous accompagnent, le chien, les chats (le trio gagnant animalier de la Polynésie!) et, tout en nous appliquant sur nos oeuvres, on continue d’en apprendre encore et encore sur la vie aux Marquises.
On sculpte, sur une baguette en bois de rose et au moyen de gouges de trois diamètres différents, des symboles marquisiens issus de la culture du tatouage (la croix marquisienne « Peka Enana », le regard « Mata », l’écoute « Puaika », l’endroit sacré « Vahi Tapu », les palmes de cocotier « Au Poa », la persévérance « Tohe Mau »).
Zoé ne peut pas s’empêcher de réclamer un coeur, qu’Etienne lui accorde, bien amusé, il ira même jusqu’à lui proposer une tortue, il a bien cerné notre Zozo; il se marre de la voir papillonner du regard à droite à gauche alors qu’il l’aide à tenir son outil, est toujours là pour la rappeler à l’ordre pour éviter les blessures (« ta main!! En dessous de celle qui travaille! ») et se moque gentiment de sa technique de rotation : « on dirait que tu pilotes un moteur hors-bord!!! »
Et il insiste : on persévère, on ne quitte pas le bateau une fois le voyage commencé ! Si le bateau coule, on coule avec ! Quelle jolie philosophie pour encourager nos enfants à aller au bout de la tâche.
Quelle satisfaction de repartir avec sa pièce sculptée: après un ponçage, de la cire d’abeille et un dernier polissage, on sculpte notre signature au dos, et on garde un souvenir merveilleux de ce moment suspendu avec nos amis Marquisiens.
Pierre est de retour de plongée, un peu frustré : il n’a vu « que « deux raies manta et un requin gris qui leur a foncé dessus en pleine chasse au poisson, mais n’a pas vu les requins marteau habituellement présents dans la baie, et la visibilité n’était pas bonne. On devient très vite difficile ici !!! Après les plongées de Fakarava, tout va lui sembler fade!
On laisse les enfants à la maison et on part profiter du coucher de soleil dans la baie. A la nuit tombée on voit deux pêcheurs de retour, qui découpent leurs prises sur le quai : six thons d’une trentaine de kilo chacun, ils n’ont pas perdu leur après-midi du dimanche ! « Après la messe, y a ceux qui sont « fiu » (fatigués, fainéants) et qui font rien de leur journée, et y a nous : on est récompensés », nous disent-ils! Deux jeunes bambins, hauts comme trois pommes, sont fous de joie : ils piétinent d’impatience de pouvoir balancer à la mer les déchets de poissons, et assister au spectacle des requins (une bonne dizaine, assez balaises!) qui se les disputent à deux mètres de nos pieds dans des éclats de queue impressionnants. Le sang des thons dégouline sur le béton, les gamins exultent de joie pendant que les pêcheurs se dépêchent de stocker leurs prises dans les glacières…
C’était un week-end tout en douceur, dans la langueur de Taiohae, sur Nuku Hiva…
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