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Hiva Oa la douce, ou l'éternité de Brel et Gauguin











Et voilà, nous terminons notre périple aux Marquises par deux nuits sur Hiva Oa : Hiva Oa appartient au sud de l’archipel, et c’est certainement la plus connue car elle y héberge pour l’éternité deux hommes qui ont marqué l’histoire : Paul Gauguin et Jacques Brel.

Il faut dire que la douceur de Hiva Oa a de quoi séduire. Dès qu’on parcourt les premiers kilomètres, on ressent ici plus de douceur que sur les farouches Nuku Hiva et Ua Pou.

La nature semble moins brute, moins sauvage, on évolue dans un environnement plus apprivoisé. Les fleurs sont exubérantes, les jardins bien entretenus.

Pour autant, on ne croise toujours personne dans Atuona, le village principal. A midi, les rares « magasins » sont fermés. Le restaurant d’une pension nous accueille pour le déjeuner (ouh ce jus de pamplemousses !! Ces fruits verts et énormes seront définitivement notre meilleur souvenir gustatif des Marquises) mais on est impatients de découvrir notre location. Et quelle location! Là aussi, j’ai déniché un trésor : une petite maison très confortable dans les collines de Taaoa, à quelques kilomètres à l’ouest de Atuona, avec une vue superbe sur la baie, bien ventilée par la brise. Moins de 130 euros la nuit pour cinq, c’est inédit pour Hiva Oa !!! C’est un couple franco-marquisien qui l’a fait construire, mais vivant en France et ne pouvant en profiter que trois semaines par an, ils la mettent à disposition en location pour les rares touristes du secteur, une très bonne idée!


Après une petite sieste, on profite de la fin d’après-midi pour rendre visite au centre culturel du Tohua Papa Nui, qui rassemble un musée sur l’oeuvre de Gauguin, la reconstitution à l’emplacement exact de sa maison, «  la maison du jouir », et un hangar qui héberge "Jojo", l’avion personnel de Brel.

Gauguin, ce post impressionniste de la fin du XIX, a fui Paris, ruiné, et s’est installé en Polynésie à partir de 1891 où il passera les 12 dernières années de sa vie. Ses tableaux représentant la population tahitienne puis marquisienne sont aujourd’hui des stars internationales, disséminées dans les plus célèbres musées du monde. Savoir que tout est parti d’ici, sur cette toute petite île de Hiva Oa, au bout du monde, pour une pareille époque, est assez troublant, surtout quand on sait que le peintre cherchait ici les plaisirs de la vie simple, l’authenticité et la paix nécessaires à son art.

Mais Gauguin fait aujourd’hui débat aux Marquises et dans le monde entier: on s’insurge évidemment de son fort penchant à une sexualité débridée avec de très jeunes Marquisiennes de moins de quinze ans, en ayant même épousé deux et les ayant engrossées. C’est un personnage rebelle qui se met à dos les populations des colons par ses provocations répétées. Si on met en avant son intelligence à défendre la légitimité et la liberté des populations polynésiennes, certains pensent aujourd’hui qu’il a profité de ce statut pour abuser de ces jeunes filles, en les utilisant pour faire un pied de nez à l’Eglise, très implantée ici et y contrôlant absolument tout.

Difficile de savoir quoi en penser, les artistes sont parfois des gens torturés et torturants.

Il serait intéressant de savoir si mettre dans son lit des mineures étaient des moeurs courantes de l’époque, même entre Marquisiens? Il est évident qu’on ne peut aujourd’hui que condamner ces pratiques, qui recentrées dans leur contexte historique, pouvaient possiblement apparaître moins choquantes à l’époque ? Toujours est-il que la syphilis l’emporte à l’âge de 54 ans, cette satanée maladie importée par les colons européens qui a contribué à largement décimer les populations locales…


On s’est donc contentés, sans entrer dans des débats passionnés, d’admirer les reproductions des tableaux exposés, et de voir dans quel musée l’original est exposé : Louvres et musée d’Orsay à Paris, Metropolitan Muséum of Art de New-York, Suisse, Allemagne, Argentine, Russie, ils sont partout! Gauguin a tout de même contribué à faire rayonner la culture polynésienne au travers de son art dans le monde entier…


Nous sommes tout seuls dans ce musée, c’est une fin d’après-midi très tranquille.


La petite dame à l’accueil nous dit que nous avons bien fait de passer aujourd’hui car le lendemain, le navire de croisière Paul Gauguin va venir mouiller dans la baie et y débarquer ses passagers pour la journée: on a beaucoup de mal à imaginer que la tranquillité des lieux pourrait être bousculée pour quelques heures!


Nous voilà arrivés dans le hangar Jacques Brel, qui expose son avion "Jojo", et des informations passionnantes sur la vie de l’artiste et sur sa retraite à Hiva Oa, qu’il a rejointe avec "l’Askoy" son voilier : besoin là aussi de fuir sa notoriété et de retrouver une paix intérieure, alors qu’un cancer lui ronge les poumons. On lit les poèmes de Brel bercés par ses célèbres chansons, diffusées par un poste artisanalement posé sur une table, c’est très agréable. Voilà un artiste qui ne déclenchera pas les polémiques, mais qui aura été adulé de tous, en métropole comme aux Marquises. L’homme est simple et généreux, il va même jusqu’à plaider la cause de Hiva Oa auprès des instances administratives, s’insurge qu’il n’y ait pas sur place d’infrastructure pour s’occuper de la population, et fera le taxi lui-même avec son avion personnel pour emmener les habitants se faire soigner à Nuku Hiva, ou pour porter le courrier à Ua Pou.

« Gémir n’est pas de mise, aux Marquises »…. Probablement pensait-il pouvoir y suspendre le temps, se sachant condamné…

Il meurt le 9 octobre 1978 à Bobigny, si jeune finalement, à 49 ans, rapatrié en métropole pour les dernières tentatives de traitement. Mes parents se sont mariés deux mois plus tard, sous la musique de « Quand on n’a que l’amour » pour la cérémonie à l’église, ce qui était assez osé à l’époque! J’ai donc quelque part une petite histoire avec Brel, et je suis touchée d’être ici aujourd’hui.

ll sera enterré à Hiva Oa, sa terre d’espérance, aux côtés de Gauguin, et tous les deux sont tournés vers le soleil de la baie de Atuona.


Nous nous sommes rendus bien sûr sur leurs tombes au cimetière marin sur les hauteurs de Atuona : deux fois !

Une première fois après avoir visité le musée alors que la journée se termine, un ciel lourd plane sur la baie, nous sommes seuls ici aussi. Et le lendemain matin, sous un grand soleil : Zoé ramasse les fleurs de frangipanier qu’elle voudrait ne jamais voir faner, l’endroit est inspirant. Le silence, le chant des coqs, et des oiseaux. Ils ont trouvé ici la paix absolue.

C’est émouvant. Sur la tombe de Brel, des gens ont disposé des galets avec des paroles de l’auteur, ou de simples remerciements pour son oeuvre. Plus de quarante ans après, et malgré son exil éternel, personne n’a oublié l’homme.

La tombe de Gauguin est en tuf rouge (pierre volcanique), sous un frangipanier, qui l’arrose tous les jours de ces fleurs délicates, quelle poésie !

Hiva Oa, ou le repos pour l'éternité....





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