Magie Bedik
Pour changer, on se lève tôt! La chaleur nous l’impose si on veut marcher tant que c’est supportable, et c’est un peu le point d’orgue de notre voyage qui nous attend aujourd’hui: notre journée de marche chez les Bedik! C’est Jacques qui sera notre guide, un jeune Bedik adorable, et qui nous introduira auprès des différents chefs et traducteurs. On arrive en minibus au campement militaire de Patassy: ici ça ne rigole pas, c’est ambiance commando du Sénégal! Heureusement les enfants du village sont là pour nous accueillir et nous faire la fête, ils courent comme des fous derrière le véhicule. Les femmes nous attendent évidemment pour nous proposer leurs paniers de colliers et bracelets, en perles d’argile. On attaque la première montée vers le village de Andiel, trente minutes de bon dénivelé parmi les pierres alors que le soleil tape déjà bien, et quelques enfants et femmes qui descendent à notre rencontre alors qu’ils vont cultiver leurs jardins dans la vallée. Andiel est un village Bedik de 200 habitants environ: nous sommes présentés à Jean-Pierre, le traducteur du village, qui nous installe à l’ombre sous les arbres et sur les rochers, pour nous raconter l’histoire de son peuple. Les Bedik sont arrivés au Sénégal vers le XIe siècle, chassés de la Guinée par l’islamisation que ce peuple animiste refusait. Ils se sont installés à Andiel, Iwol, Ethiwar… poursuivis par Alpha Yaya, roi guinéen qui voulait les forcer à se convertir. Celui-ci finit par admettre leur fuite et leur installation en dehors de son royaume, mais il vint y chercher les plus belles femmes Bedik et les ramena chez lui. Les Bedik ont ainsi pu conserver leurs traditions animistes de croyance en la force et la puissance de la nature. Bien Plus tard au XX e siècle ce sont les missionnaires catholiques français qui revinrent les convertir: les Bedik y furent plus sensibles qu’à l’Islam, alors que la région du Sénégal Oriental est majoritairement occupée par des Peuls musulmans. Une chapelle est ainsi construite dans chaque village Bedik, et les Bedik affichent sans souci leurs doubles religions: catholique et animiste! Ils portent des prénoms français, mais restent très attachés à leurs fêtes et traditions. « L’initiation » des jeunes garçons à partir de 16 ans reste un moment majeur fort de traditions et de croyances dans l’année: il s’agit de 5 mois de mise à l’épreuve des adolescents pour marquer le passage à l’âge adulte. Ils restent une semaine dans la forêt, seuls, et doivent y apprendre à se nourrir et survivre, puis passent les semaines suivantes entre la brousse et le village, où ils sont logés dans « la case des initiés », sans pouvoir parler aux autres habitants ni à leurs familles, pendant 2 mois, et doivent développer un langage qui leur est propre; ils sont « parrainés » par des compagnons adultes dont c’est la fonction. La fin de l’initiation est le moment de fêtes et de danses traditionnelles réputées et impressionnantes dans les villages, où les jeunes initiés portent les masques africains stockés le reste de l’année dans des endroits secrets de la brousse. Les enfants sont dissipés autour de nous, ça se dispute, ça se tape parfois violemment, ça joue, ça veut toucher Zoé dans tous les sens, elle commence à en avoir un peu peur…! Le village est très mignon, bien organisé, on nous montre la chapelle, au charme fou avec son toit de paille! Les femmes sont superbes quel que soit leur âge, certaines parées des bijoux traditionnels d’oreilles et de cheveux, d’autres ont l’épine de porc-épic plantée dans les narines, toutes sont habillées en couleurs splendides, certaines tissent le coton, c’est fascinant…
On dit au-revoir à Jean-Pierre, et nous reprenons la marche sur le plateau pour rejoindre maintenant Iwol; la chaleur est très forte, on marche pendant 1h30 accompagnés de Delphine, Bedik de Andiel qui ramène à Iwol Mathias, trois ans, que sa maman a laissé la veille alors qu’il s’était endormi avant qu’elle ne rentre dans son village. Le petit s’est réveillé ce matin complètement perdu, a pleuré toute la matinée et a refusé de manger. Delphine s’est donc résolue à le ramener ! Mais tout se fait à pieds ici, aucune route n’existe, juste un petit chemin parmi les pierres sèches. Delphine parle bien le français, je fais un petit bout de chemin derrière avec elle, elle voit Zoé qui commence à peiner et souhaite alors la porter! Les gens nous trouvent durs de ne pas porter nos enfants, alors que les leurs marchent déjà des kilomètres dès 2 ans!! Elle charge alors Zoé sur son dos selon le portage africain à l’écharpe, lui explique comment caler ses mains sous ses aisselles, et voilà la Zozo la plus heureuse du monde! Je prends Mathias par la main et nous voilà repartis! Je lui demande quand même de la reposer au bout d’un kilomètre environ, on tient à ce que Zoé marche, elle a réussi à marcher pendant 16 km sur des rando dans de précédents voyages; certes les températures n’étaient pas si hautes! Nous sommes bientôt rejoints par deux femmes de Iwol, bassines sur la tête et perche de bois de trois mètres sur l’épaule, qui servent à cueillir les pains de singe. Delphine nous quitte alors car ces femmes vont nous suivre jusque Iwol et pourront ramener Matthias à sa maman. On traverse un haut plateau vallonné, les vues sur la vallée asséchée sont jolies, des petits potagers faits de buissons à cacahuètes parsèment le chemin. Iwol est un village beaucoup plus gros, habités de 600 personnes! C’est plus sale, moins charmant je dirais, on est à nouveau assaillis de femmes qui veulent vendre leur artisanat : colliers d’argile, petites calebasses décorées, épines de porc-épic : on achète bien sûr mais c’est difficile de faire plaisir à tout le monde... Jean-Baptiste nous reçoit et nous fournit les mêmes explications sur l’histoire du peuple Bedik, composé de quatre grandes familles : les Camara, les Keita (Léontine est une Keita!), les Samoura et les Sadiakou. Seul un membre des Keita peut être chef. Iwol possède un cours d’initiation mais n’a pas d’école primaire, peu d’enfants poursuivent car l’école est trop lointaine à rejoindre à pieds quotidiennement. Un papa fabrique des boules de bouse et d’herbes avec son fils pour construire des cases, les enfants nous suivent partout. On observe les tam-tam du village, poétiquement posés contre le baobab de la place centrale, et on va voir « le vieux » qui veille tous les jours sur le fromager sacré…
Il est maintenant temps de redescendre vers Ibel, quarante-cinq minutes de descente sèche entre les pierres sous un soleil de plomb, la soif est insupportable, on va vite pour abréger les souffrances! Mais on arrive heureux au campement de Ibel, où un excellent poulet maffé nous attend, c’est un délice! On est repu de bonheur d’avoir pu vivre ces moments magiques avec les Bedik, un petit goût de « rendez-vous en terres inconnues », en fait tout ce dont je rêvais sur l’Afrique de l’Ouest depuis des années…Assane a ramené le minibus pendant notre randonnée et il est heureux de nous retrouver, on passe vraiment un bon moment autour de ce riche repas bien mérité! On rentre chez Léontine pour une petite pause, et on retourne entre adultes avec Guillaume sur les hauteurs de Bandafassi pour revoir les cases d’Ethiwar au coucher du soleil: la lumière est magnifique, sublimée par les flocons de kapok, issus des fromagers , qui tapissent l’herbe sèche tel un manteau de neige!! On grimpe sur les rochers, puis on marche sur le plateau, on croise deux vieilles femmes qui s’attèlent à remonter de l’eau au puit pour le bétail, l’une d’elle n’est couverte que d’un pagne à la taille, et lave ses racines cueillies pour les médicaments traditionnels. Guillaume discute un peu avec elles, c’est cerné d’abeilles! On rentre bien fatigués chez Léontine, le repas est toujours aussi bon, le sommeil va être apprécié, plein de belles images dans la tête! Une prochaine fois, on poussera plus à l'Ouest pour aller découvrir une autre ethnie: les Bassari!
quelques mots appris en Bedik!: "bonjour (le matin) : ameké" (si une seule personne), amunké (si plusieurs personnes)", "bonjour (l'après-midi) : amiat (si une seule personne), ameniak (si plusieurs personnes)", "bonsoir : amimud (si une seule personne), aminmud (si plusieurs personnes)", " ça va ? : yamodej ? Ça va ! = yamo!", "merci : anelangal" (signifie aussi je suis content!), "vous êtes jolie : untchel yaral"