Natacha nous a rejoints ce samedi soir, l’occasion d’un bon repas dans un café à côté de l’hôtel pour un debriefing bien mérité en français sur Köl Su !
Le lendemain, nous partons donc à quatre (enfin, à cinq si l’on compte Deïa, le doberman femelle de Natacha, qui prend toute sa place à nos côtés !!!) pour seulement une heure de route en remontant la rivière Naryn ; nous allons rejoindre un camp de yourtes sur Eki Naryn, le long de la « petite rivière Naryn » (qui rejoint un peu en aval la « grande rivière Naryn » pour former la rivière principale). Natacha profite de la route pour nous donner des tas d’explications éclairées et non manichéennes sur la géopolitique de l’Asie Centrale depuis l’Antiquité, sur les enjeux claniques qui ont toujours guidé le pays, sur les échanges commerciaux initiés par les Chinois vers l’Europe, et sur les traditions nomades khirghizes, revenues en force dès l’indépendance du pays en 1991, puisque le communisme imposé par l’URSS en interdisait les pratiques (mais Natacha nous explique que le Khirghizistan est malgré tout resté en bons termes avec le « grand ami russe », la population ayant bien eu conscience de certains grands bienfaits amenés par cette hégémonie, notamment en ce qui concerne la médecine, les soins aux populations, et l’enseignement). Si les Russes sont venus s’installer initialement dans cette région, c’est parce que les clans nomades du Nord avaient pactisé avec eux pour obtenir leurs moyens militaires face aux éternelles querelles de clans avec les populations du Sud, il n’y a donc pas eu d’invasion dominatrice unique par les Russes dans l’histoire de ce pays, et l’on pourrait, par méconnaissances, un peu rapidement et de façon très binaire considérer que les Russes sont les méchants face aux gentils nomades, qui s’avéraient être en fait des peuples guerriers pour conquérir toujours plus de pâturages pour les troupeaux, l’élevage étant le cœur profond et la raison d’être de ces populations.
Nous nous arrêtons au bord de la route pour observer un cimetière (Nikolaï est un peu nerveux et Deïa manque de se noyer dans le ruisseau qui nous sépare des tombes ! On apprendra ainsi que le doberman est un chien maladroit ! Cette femelle ayant reçu des mauvais traitements sur sa première année a été recueillie par Natacha, et ne voit que par elle, dans une fidélité absolue et une crainte majeure de l’abandon qui contraint sa maîtresse à l’emmener partout avec elle ! Une âme de chien peureux dans un corps athlétique et effrayant, qui nous aidera tout de même à l’appréhender, nous qui sommes assez frileux avec les canidés !) : elle nous explique le sens des représentations sur les tombes, qui, malgré la religion islamique (très modérée), restent guidées par les croyances chamaniques : des cornes de cerf, ou une représentation d’aigle, animaux totem majeurs du chamanisme, surmontent les pierres tombales, de jolis dessins colorés rappellent l’environnement et le mode de vie du défunt. Les tombes ne sont pas tournées vers la Mecque comme je le pensais, mais systématiquement vers la route pour permettre aux nomades, dans leur culture du déplacement, de véhiculer l’information d’un camp à un autre des nouveaux décès.
Notre camp de yourte est coincé entre la rivière bouillonnante et la montagne rouge, et cette fois c’est bon, on aura une yourte pour la nuit ! L’édifice est en feutre (laine de mouton), une petite odeur de bête emplit les narines quand on y pénètre, mais on l’oublie rapidement (attention, elle se rappelle quand-même à nous à chaque fois qu’on y entre à nouveau !), à côté de la porte à l’extérieur est appliqué la patte d’oiseau, lien entre la terre et le ciel, signe de protection dans la religion chamanique. A l’intérieur, des pompons roses fushia pendent du sommet, liés aux grandes cordées tissées qui permettent de mobiliser le faîte de la yourte, pour l’aération. Nos couches sont composées de boutis colorés superposés, tout a l’air propre mais j’ai du mal à imaginer une machine à laver dans cet endroit isolé, et nous installons donc nos sacs de couchage, qui en plus de nous protéger du froid la nuit (pas de poêle !), nous préserveront d’éventuelles surprises prurigineuses au retour en France !
Une vieille mamie alimente les fourneaux, Natacha demande à me faire cuire du riz rond acheté au marché de Naryn le matin même, car mes intestins ne sont pas encore dans une forme olympique ! Les enfants alimentent le samovar (sorte de four rond portatif avec cheminée centrale, pour faire bouillir l’eau du thé) avec les bouses sèches.
L’après-midi sera l’occasion d’une superbe randonnée dans les hauteurs des yourtes avec Natacha qui venait ici marcher avec Macha toute petite. Panoramas à 360°, liberté totale ! Elle continue de nous conter les traditions nomades, et m’explique les coutumes autour de la naissance et du nourrisson : j’adore ! La sage-femme chevauche le berceau du nouveau-né, dont la barre longitudinale, qui sert de poignée pour le transport du berceau à cheval, est recouverte d’un tissu coloré pour mimer un tapis de selle, et avec une cravache, mime le galop pour faire croire aux esprits qu’il s’agit d’un animal et dissimuler la présence d’un enfant, dont la fragilité initiale faisait craindre qu’il soit rapidement emporté.
Retour au camp en fin d’après-midi où Natacha et Nikolaï nous laissent jusque demain, on profite du doux soleil sur les balançoires du « jardin », et de cet instant vide de toute activité… J’adore les balançoires dans les paysages de rêve du voyage…
Nous partageons le repas du soir sous la yourte avec quatre jeunes polonais en voyage, il fait frais, on se couvre les jambes avec les boutis épais (j’en veux un pour mes soirées télé !!), on papote longuement, c’est très sympathique ! Un mariage se prépare au camp, le papa vient nous expliquer dans son anglais basique qu’il marie son fils de 22 ans demain, très fier ! Un mouton est d’ailleurs amené dans la nuit noire pendant qu’on se lave les dents dans l’herbe, son sort est fait, il passera la nuit enfermé dans un cabanon de tôle (et je cauchemarderai sur sa mise à mort dans la nuit !! en fait, non, c’était juste un rêve, car dans mon sommeil je n’étais nullement dégoûtée de la sanquette maculant les jolis prés verts !). On est prévenu, après-demain, ce sera un cheval qui trônera sur le buffet familial !