dimanche 31 mars : Enivrées de bleus à Chefchaouen
La soirée du 30 mars se termine tranquillement par un repas au célèbre Café Clock, une institution de la médina ; l’occasion de découvrir les ruelles de nuit, calmes, éclairées de petites lanternes orangées, donnant une ambiance complètement différente au labyrinthe dans lequel nous dirige Youssef. Les hommes discutent encore en vendant les dernières oranges, les chats se faufilent, la nuit monte. Cette nuit sera mémorable ! En effet, c’est la nuit du changement d’heure en France qui passe à l’heure d’été, alors que le Maroc a décidé depuis peu de rester en heure unique à l’année. Nous devions nous lever tôt pour notre départ pour Chefchaouen, rendez-vous était pris à 6h30 pour le petit déjeuner dans le patio. Il se trouve que l’excitation du voyage me donnait une belle insomnie entre 3h30 et 5h30, me permettant d’assister à une bérézina de la prière ! 4h30 : le muezzin appelle à la prière… Je trouve ça un peu tôt, me souvenant que c’était un peu plus tard habituellement dans mes précédentes expériences dans les pays musulmans ; bon, je me dis que ça doit dépendre de la saison ! 5h : le muezzin appelle à nouveau à la prière, le bougre !! et 5h30, ça y est, c’est la prière !! Je ne peux pas m’empêcher de penser en souriant à la scène de OSS 177 où Jean Dujardin va tabasser le muezzin en disant que « ça suffit maintenant il réveille tout le monde !!! »
On apprendra dans la journée qu’un grand dysfonctionnement chez Orange a fait passer les abonnés marocains à l’heure d’été comme en France, le muezzin était donc chez Orange !! De notre côté, 5h30 est aussi l’heure à laquelle Muriel débarque dans le patio pour le petit déjeuner, elle aussi victime d’un téléphone qui s’est mis à l’heure française ! Heureusement Youssef ouvre ses rideaux et se penche au balcon tel un Aladdin des Mille et une nuits (toujours sans dents je vous le rappelle, trop touchant…) : « qu’est-ce que tu fais ? » lui dit-il ? et avec tant de précaution : « tu as froid ? » (ouh qu’il nous a fait rire celui-là !!), puis comprenant la mégarde : « va te recoucher, tu as encore une heure de sommeil » !
C’est donc la tête un peu à l’envers qu’on se présente pour le petit déjeuner, il fait encore nuit dans le patio : la table compense alors largement les aventures nocturnes ! orange pressée (un délice ces oranges ici !), œufs au plat cuits directement dans une petite coupelle en terre cuite soupoudrés de cumin, pain marocain, galettes de maïs, petites crêpes, miel, confiture de figue, beurre fait maison (un peu rance..) et fromage frais, le tout arrosé de café et du désormais célèbre thé à la menthe de Youssef qui réchauffe le cœur encore ensommeillé, on est gâtées !
On retrouve Otman notre chauffeur à la porte Bab Batha pour le départ : 4 heures de route nous attendent. La campagne marocaine se dévoile rapidement ; ses bergers et ses troupeaux de moutons partout, ses oliviers, ses eucalyptus, ses orangers… Des ânes à chaque virage, un relief vallonné, des rifs, la route est très belle, et on est toutes seules ! Première petite pause pour un point de vue sur un lac à la lumière du jour encore neuf, ambiance sereine, quelques marchands du bord de route, des grosses courges pendues et des paniers plein d’oranges : tellement photogénique ! On traverse ensuite des vergers d’orangers plein de fruits et de fleurs, on ouvre les fenêtres et on s’enivre au passage du parfum délicieux, le Maroc est bel et bien aussi un voyage des odeurs !
Petite pause café pour papoter encore un peu plus avec Otman et comprendre son quotidien.
« Alors Otman, quel âge a ta mère ? » !!! On adore !
Au bout de finalement plutôt 4 heures et demi de route et un relief de plus en plus montagneux, voilà que se dévoile la ville de Chefchaouen et sa médina bleue, encaissée au milieu des montagnes !
Otman nous dépose à l’entrée de la vieille ville, qui nous transporte aussitôt ! Et nous avons de la chance, le soleil est initialement avec nous, magnifiant ce festival de bleus présents partout : les murs, les portes, les rues, les sols, les volets, c’est juste incroyable ! On se perd pendant plusieurs heures dans la médina, un pur bonheur pour les yeux. Entrées cachées, escaliers secrets, sa population y déambule en tenue berbère tels des fantômes capuchonnés longeant les murs ou passant les portes, les enfants sont partout, ils entrent et sortent des maisons, jouent… Casiers d’oranges ou de citrons, sacs de jute, pommes d’amour, tapis colorés, carioles pleines d’œufs, sacs de poudre colorée, chaque coin de rue est un régal pour les yeux, et rien n’est artificiel, c’est tellement authentique ! Nous faisons le tour de la medina par l’extérieur pour gagner les remparts supérieurs et la vue sur les toits, derrière nous la montagne est imposante. Au loin les chants et la musique endiablés d’un groupe de lycéens marocains, venus pour la journée pour une sorte de rassemblement ou de pèlerinage, ponctuera joyeusement différents moments de notre déambulation. Sous les rayons du soleil et dans ce décor qui nous enivre de bleus, nous nous amusons en photos de tout genre, la bonne humeur continue de notre « club des 5 » féminin, habillées en camaïeu de bleus pour l’occasion, n’en finit pas de nous gonfler le cœur ! Les chats de Chefchaouen par contre se méfient de nous, nous inspectant de leurs regards méprisants !! Alors que les nuages deviennent plus menaçants et que la pluie s’annonce, nous trouvons refuge dans un resto traditionnel tout mignon pour un déjeuner bien tardif. Les températures chutent rapidement, le thé à la menthe est réconfortant, le couscous aussi !
Nous terminons notre balade par les étalages de foutah en coton, spécialité artisanale de Chefchaouen : on part de 300 dirhams mais le vieux vendeur voit vite à qui il a à faire : ça chute immédiatement à 50 dirhams, là on s’entend tout de suite plus vite ! Muriel s’enquiert de la famille de chacun pendant nos négociations (« la famille ça va ? la santé ça va ? »), pendant que des nouveaux cousins de Soizic croient partout la reconnaître… On est pliées.. !
Nous retrouvons Otman vers seize heure sur la place Mohammed V, entourée de façades délicieusement désuètes, aux orangers chargés, et à la jolie fontaine cernée des grenouilles de Miro.
L’orage arrive, il est temps de remonter en voiture ! Alors que Muriel prend place devant aux côtés d’Otman, on se laisser bercer par leur conversation sur la vie au Maroc, la politique, la pensée, la famille, les études des uns et des autres, et nous sombrons dans le sommeil… Au réveil, la pluie est terminée, une très belle lumière rasante des journées gorgées d’humidité illumine les collines verdoyantes, les bergers et les moutons sont toujours là, les vergers d’orangers aussi (la délicatesse d’Otman va jusqu’à ouvrir à nouveau les fenêtres et ralentir sans qu’on ait besoin de lui demander pour profiter à nouveau du bonheur des sens !).
Le jour se couche quand nous retrouvons notre cher Youssef, en tenue fassi cette fois (« c’est du coton ! »), continuant de nous expliquer sa ville et son fonctionnement avec son pas si alerte pour nous ramener au riad : il nous explique qu’il n’est jamais allé à Chefchaouen, mais connaît Agadir, Meknes, Rabat… On lui avait proposé de l’emmener avec nous mais il ne pouvait pas quitter le gardiennage du riad. Quel étrange sentiment quand on voyage de côtoyer des autochtones qui n’ont pas la chance de connaître autant des paysages de leur pays que les touristes eux-mêmes… Il a plu toute la journée à Fès, on comprend même que c’était le déluge et qu’on a eu beaucoup de nez de partir à Chefchaouen où la météo était plus clémente ! Youssef nous sert à nouveau un thé à la menthe : c’est bon maintenant, on peut lui dire que c’est le meilleur de tous ceux qu’on a goutés pour l’instant, il est sincèrement touché, il est trop mignon ce Youssef ! On craque !! Petite séance photo dans sa tenue fassi près de l’imposante porte du riad ( et gros fous-rires encore partagés avec lui : « mais c’est Youssef qui insiste ! » !!!). On trouve refuge dans l’humidité de la nuit pour un dîner tardif « chez Zohra », un resto traditionnel marocain pour nous toutes seules (il faut dire qu’il est déjà tard). Lovées dans les gros canapés de l’un des petits salons, un festin nous est servi pour débriefer de cette fantastique journée: on découvre les boulettes kefta œufs tomates et le bonheur des pâtisseries marocaines. Youssef, toujours aussi prévenant, continue son chaperonnage et vient nous rechercher en fin de repas ; Soizic dans un élan de tendresse lui tend l’assiette de pâtisseries, et le Youssef de lui répondre dans un discret refus : « non merci, je peux pas, j’ai pas de dents » ; regard interloqué de Soizic, fous-rires étouffés des copines, moi je m’étrangle carrément au fond de mon canapé avec mon thé à la menthe, je crois mourir, Soizic tient le coup (vraiment impressionnante) et remet ça, elle insiste et lui explique que peut-être il peut se débrouiller avec les dents restantes, bref on s’enfonce plus profond, et Muriel nous sauve la mise en proposant une banane qu’il accepte alors volontiers… Il y a des moments inoubliables dans une vie de groupes de filles : celui-là restera assurément profondément ancré dans nos mémoires, je glousse encore toute seule en l’écrivant ! En bref, on se couche le sourire jusqu’aux oreilles de tous ces moments de pure délectation humoristique, et on compte bien remettre ça pour notre dernière journée de découverte de la fascinante Fès !